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La ballerine en état de grâce

Quand l’impératrice Joséphine de Beauharnais se présente à la cour du début du XIXe siècle chaussée d’une délicate paire de souliers plats, c’est la surprise. Fini le talon qui, jusqu’à présent, permettait aux nobles de prendre de la hauteur, et donc de se démarquer du petit peuple. Moulant délicatement le pied et tenant grâce à des rubans croisés autour de la cheville, ce soulier emprunte tout au chausson de danse traditionnellement réservé aux danseuses classiques, même s’il n’en porte pas encore le nom.
C’est d’ailleurs pour virevolter dans les bals donnés par l’aristocratie que les élégantes chaussent ce soulier tellement fragile qu’il ne tient pas plus d’une nuit. Il faut dire qu’il est décliné dans les matières les plus précieuses : satin ou taffetas de soie, ou encore fine peau glacée. Joséphine, elle, en aurait eu jusqu’à sept cent quatre-vingt-cinq paires.
La paternité de la première ballerine transformée en chaussure de ville est, elle, encore soumise à bien des débats. Certains rappellent ainsi que c’est un Australien, Jacob Bloch, qui ouvre en 1932, à Sydney, un atelier de confection de chaussures de danse spécialement travaillées pour descendre dans la rue, grâce à l’ajout d’une semelle. D’autres ne manquent pas de citer la styliste française Rose Repetto.
Installée rue de la Paix, à Paris, la mère du célèbre danseur Roland Petit se fait un nom lorsqu’elle invente, en 1956, à la demande de Brigitte Bardot, une paire de ballerines rutilantes et d’un confort absolu, grâce à la technique dite du « cousu retourné ». L’année suivante, c’est au tour d’Audrey Hepburn, autre danseuse devenue star de cinéma, d’ensorceler les Parisiens – et Fred Astaire – lors d’un numéro de danse exécuté ballerines aux pieds, dans la comédie musicale Drôle de frimousse (1957), de Stanley Donen.
Soumise aux diktats de la mode, la ballerine a parfois dû s’effacer au profit de baskets confortables ou souliers haut perchés. Pour mieux revenir il y a quelques saisons, portée par la tendance balletcore, consistant à se vêtir – et surtout à se chausser – comme un petit rat de l’opéra. Si la version des puristes, en satin avec nœud et rubans, séduit toujours, les derniers modèles en vogue, eux, se déclinent en matières souples (cuir, et surtout résille) et dans diverses variations (bride sur le dessus du pied, décolleté dévoilant la naissance des orteils ou, au contraire, couvrant largement le cou-de-pied). Pour mieux esquiver, d’un pas léger, tous les tracas de la rentrée.
Margaux Krehl
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